Ces élites qui crachent sur notre France
Oui, il faut remercier Maurice M. Taylor, le PDG de Titan.Il faut le remercier non pour ce qu’il a dit des ouvriers français – cette bande de fainéants, de tire-au-flanc et de flemmards qui ne pensent qu’à boire et à se la couler douce.Il faut le remercier non pour ce qu’il a osé écrire à un ministre, Arnaud Montebourg – lequel a d’ailleurs su le remettre à sa place comme il le fallait.
Il faut le remercier parce qu’il aura involontairement réussi à mettre à nu la formidable hypocrisie d’une partie de l’élite française.
Car le «Grizzly de l’Illinois», aussi balourd soit-il, n’aura fait que dire tout haut ce que l’on dit mezza voce dans les salons parisiens.
A l’instar de Laurence Parisot, nos grands esprits ont réagi avec une étonnante spontanéité à l’admonestation verbale du PDG.
Qu’a dit la patronne du Medef, chef de file de l’élite économique de notre beau pays?
La lettre de M. Taylor est certes «inacceptable» (service minimum obligatoire pour ne pas perdre la face), mais, «par cette façon très provocante de dire les choses», l’homme d’affaires américain «met en avant des anomalies et des dysfonctionnements que nous devons corriger».
Et voilà le travail, si l’on ose dire : ce qu’écrit M. Taylor, c’est mal, mais, sur le fond, il a raison!
Ne jurant que par le dieu Marché, le monde politico-médiatique a repris ce raisonnement à la virgule près, sans qu’il soit besoin de lui fournir les éléments de langage.
Facile : c’est exactement ce qu’il pense.
De Valérie Pécresse, ex-ministre du Budget de Nicolas Sarkozy, à Dominique Seux, chroniqueur économique au journal les Echos et à France Inter, en passant par quelques étoiles de moindre éclat, le même refrain binaire repris en ch\u0153ur : non, on ne peut pas parler comme Maurice Taylor ; oui, on doit reconnaître qu’il n’a pas tort.
Anecdote symbolique : le Monde, pour rendre compte de l’échange épistolaire entre Maurice Taylor et Arnaud Montebourg, a fort symboliquement titré en une sur la «surenchère» présumée du ministre face aux «outrances» du patron.
Comme si leurs propos étaient sur un pied d’égalité, comme s’ils se valaient.
Il en est ainsi parce que ceux qui ne jurent que par le modèle allemand les jours pairs et par le modèle anglo-saxon les jours impairs ont perdu tout sens de la mesure, sinon des réalités.
Désormais, le patriotisme est une valeur en berne dans les beaux quartiers.
La francophobie se porte en sautoir, surtout depuis que la gauche est aux affaires.
Si le terme n’était pas aussi connoté par l’histoire, on pourrait presque parler d’anti-France.
Evitons-nous de mauvais procès et prenons plutôt quelques exemples.
Chaque semaine, Franz-Olivier Giesbert, directeur de notre excellent confrère le Point, pourfend, à juste titre, les gouvernements de droite comme de gauche qui, pendant trente ans, ont laissé filer les déficits publics, creusé la dette et aliéné une partie de notre souveraineté.
Mais, ce faisant, nombre de ses éditoriaux se résument au raisonnement suivant : sachant que, premièrement, la France est nulle ; que, deuxièmement, la France est nulle ; que, troisièmement, la France est nulle ; on peut en déduire que…
FOG tire ainsi à boulets rouges sur «le prétendu modèle français» et dénonce le «déni français» défini comme «un mélange d’isolationnisme, de repli sur soi et de complexe de supériorité, les trois matrices du déclin».
Huit jours plus tôt, faisant écho à son chroniqueur économique, Nicolas Baverez, il fustigeait le «mal français» et «la tradition française de la peur et de l’évitement»…
Alain Minc, l’homme qui murmurait à l’oreille de Sarkozy, en a récemment donné un exemple presque caricatural, lors de son échange avec Arnaud Montebourg, sur le plateau de l’émission «Des paroles et des actes» (France 2).
On pourrait l’appeler le french bashing de l’intérieur, par référence à ce dénigrement antifrançais qui avait fleuri de l’autre côté de l’Atlantique lorsque Jacques Chirac, non sans un certain courage politique, avait condamné fermement l’invasion américaine de l’Irak.
Décrire la Chine comme le futur impérialisme dominant, pas de problème.
Mais critiquer l’Amérique néoconservatrice tirant les conséquences guerrières des théories fumeuses sur le «choc des civilisations», cela valait illico presto accusation d «antiaméricanisme».
A cette occasion, Jacques Chirac avait confirmé qu’il n’avait pas (totalement) oublié la tradition gaullienne et que la France avait encore quelque aptitude à faire entendre une voix singulière dans le concert des nations.
Certes, le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, sous l’ère sarkozyste, participe d’un processus de normalisation fort regrettable.
Aujourd’hui, sans l’esquisse de la moindre autocritique (pas le genre de la maison), ils jouent la carte du catastrophisme pour prôner des pseudo-réformes qui ne font qu’aggraver le mal.
En fait, les accros au néolibéralisme proposent d’en rajouter une couche (de néolibéralisme) pour essayer de masquer les fissures dans les fondations.
Telle est la véritable arrière-pensée du french bashing : réussir à briser ce qui reste du modèle social à la française sous prétexte de copier ailleurs non pas ce qui se fait de mieux, mais de pis.
Sous la pression des gardiens du temple de l’orthodoxie financière que sont les organismes internationaux chargés de faire appliquer à la schlague les règles de la mondialisation néolibérale, le couple diabolique dérégulation-privatisation a conduit à une série de crises successives, dont celle déclenchée en 2008, d’une ampleur inégalée depuis la grande dépression de 1929.
Avec eux, toute velléité de sortir des canons de la pensée correcte est un crime contre l’esprit. Source