Pourquoi les Britanniques ont-ils massacré leurs animaux de compagnie en 1939 ?

Pourquoi les Britanniques ont-ils massacré leurs animaux de compagnie en 1939 ?
Le 3 septembre 1939 à 11 h 15, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne. C’est Neville Chamberlain, son Premier Ministre, qui l’annonce solennellement sur les ondes de la BBC. L’annonce ne surprend personne, à vrai dire : pour le peuple anglais, la guerre a déjà commencé.

Depuis quelques jours, en effet, les Britanniques se préparent aux raids aériens qui viendront à coup sûr pilonner leurs métropoles. Avec leur flegme habituel, ils tracent les plans d’évacuation, aménagent les caves, matelassent de sacs de sable l’entrée des abris. Ils distribuent masques à gaz et seau-pompes, élargissent leurs potagers, envoient les enfants à la campagne, installent des rideaux occultants à leurs fenêtres… Les plus pragmatiques font même disparaître leur animal de compagnie.
Cinq jours pour une purge

C’est ce que constate avec stupeur la presse londonienne. “Les propriétaires d’animaux de compagnie sont invités à ne pas les faire disparaître inutilement”, implore le Weekly Dispatch dès le 3 septembre. Alors que pas une bombe n’est encore tombée sur les îles britanniques, des milliers de Londoniens font la queue devant les cliniques vétérinaires pour y euthanasier leur compagnon.

Entre le 3 et le 7 septembre, pas moins de 400 000 d’entre eux – chiens, chats, lapins, canards – sont abattus. “La moitié des animaux de Londres éliminés”, s’alarme le Daily News le 9 septembre. L’ampleur du phénomène est telle que les cliniques vétérinaires manquent de chloroforme et que des files d’attente s’allongent devant leurs portes ! Quant aux crématoriums, ils n’ont pas le temps de brûler toutes les dépouilles – d’autant que, dans le contexte du couvre-feu obligatoire, ils ne peuvent travailler de nuit.

Ce n’est pourtant ni une directive étatique, ni une mesure d’urgence qui justifie cet “holocauste animalier”, mais une psychose collective qui semble s’être emparée de la capitale anglaise. Les rumeurs de la guerre apportent avec elles la crainte des pénuries, des gaz moutarde, des incendies dévastateurs. On s’inquiète de n’avoir pas assez de nourriture à partager, de ne pas pouvoir emporter son chien avec soi dans les abris souterrains. “C’est un phénomène qui est à l’époque assez fréquent, observe Éric Baratay, auteur du Point de vue animal. Une autre version de l’histoire (Seuil, 2012). Lors de la déclaration de guerre de 1914, le même sort avait été réservé aux chiens dans les campagnes françaises avec les soupçons de restrictions alimentaires. Les chiens étaient alors pendus ou noyés dans un lac.”

Dans ce contexte, posséder un animal de compagnie est devenu un luxe inutile. Même si la guerre n’est pas encore à leurs portes, les Londoniens considèrent cette option avec le même pragmatisme qui les fait rapporter à la librairie du quartier leurs livres empruntés avant qu’il ne soit trop tard… Qui plus est, tempère l’historien, “personne, à l’époque, ne pouvait prévoir que la guerre ne commencerait vraiment qu’en 1940”.
De la honte au déni

La faute revient également à une communication maladroite de la part du gouvernement britannique. En août 1939, le National Air Raid Precautions Animals’ Committee (NARPAC) commença à rassembler de la nourriture pour les bêtes d’élevage, qui représentent 37 millions de têtes de bétail. Que faire, en revanche, des 6 à 7 millions de chats et de chiens vivant en Angleterre ? L’organisme fait distribuer une brochure intitulée “Conseils aux propriétaires d’animaux”, massivement relayée par les journaux et la radio. Le texte suggère d’expédier les chats et les chiens vers la campagne, moins ciblée par les raids. “Lorsqu’un propriétaire n’a pas été en mesure d’envoyer son chien ou son chat dans un endroit sûr ou de prendre d’autres dispositions appropriées pour le protéger, conseille le texte, il doit envisager la possibilité de l’éliminer sans douleur.” Explicites, les dernières pages du manuel détaillent même un mode d’emploi du pistolet d’abattage…

Bien entendu, l’anéantissement des chiens et des chats de la capitale n’est pas du goût de tout le monde. Le rationnement n’est pas encore en vigueur (il faudra attendre janvier 1940), donc la pénurie de nourriture n’étrangle pas encore l’archipel. “Éliminer un ami fidèle sans raison est une autre façon de laisser la guerre s’infiltrer dans votre maison”, matraque l’animateur Christopher Stone en novembre 1939. Journalistes, écrivains et associations de protection animalière s’indignent ; d’autant qu’en l’absence de prédateurs, rats et souris prolifèrent librement dans la capitale… Même la NARPAC tente d’inverser la tendance : “ne vous inquiétez pas pour votre chat en cas de raid aérien, rassure l’organisme, cité par le magazine Time. Il sera le premier à se réfugier dans la cave et le dernier à en sortir.”

Malgré tout, la tuerie de masse qui a ensanglanté Londres durant la première semaine de la guerre ternira durablement la mémoire nationale, tant et si bien que les historiens refuseront longtemps d’aborder le sujet. “Le déni ne concerne pas seulement cet épisode mais repose sur l’oubli généralisé des animaux dans la guerre, affirme Éric Baratay. A l’époque, la relation entretenue avec les animaux de compagnie n’est pas aussi intense qu’aujourd’hui : on considère le chien comme un ami, pas comme un enfant de la famille. On ne parle pas avec son animal, on ne joue pas avec lui : c’est une relation plus distante, plus lâche.”

On estime aujourd’hui que 750 000 animaux domestiques ont été éliminés en Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Un nombre dix fois supérieur aux civils britanniques tués sur la même période, rapporte geo.fr