Le débat sur la taxation de l’héritage

Le débat sur la taxation de l'héritage
La France, sur le point de se transformer en une « société d’héritiers », serait-elle prête à aborder la question des droits de succession ? Alors que les décisions concernant le budget de 2026 sont en cours, marquées par la présentation du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale le vendredi 24 octobre, le gouvernement explore des possibilités d’économies. Certains acteurs soulignent l’importance d’examiner la question délicate de la fiscalité successorale. Yaël Braun-Pivet a déclaré dans l’émission « 4 V » sur France 2 que l’héritage, comme ressource provenant du hasard, devrait être limité, soulignant que la transmission de richesse de génération en génération n’est pas équitable et pose des problèmes de justice. Suite aux réactions provoquées par son discours, la présidente de l’Assemblée nationale a clarifié par la suite son intention d’aborder plutôt « la problématique des super-héritages ».

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La question de la fiscalité relative aux successions est fréquemment abordée dans les discussions. Lors de la campagne présidentielle de 2022, Emmanuel Macron avait suggéré d’augmenter l’abattement sur les successions en ligne directe pour les descendants du défunt, tandis que Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise, prônait l’établissement d’un plafond maximal de 12 millions d’euros pour les héritages. De quoi s’agit-il précisément lorsqu’on aborde la question de l’héritage en France ? Franceinfo fait un récapitulatif de la situation.

Afin de cerner les implications liées aux droits de succession, il est essentiel de démêler tout d’abord les bénéficiaires concernés par ces droits. Contrairement aux préjugés répandus, l’héritage ne concerne pas tous les ménages français. Selon Nicolas Frémeaux, économiste spécialisé dans l’économie familiale et professeur à l’université de Rouen Normandie, « environ la moitié de la population ne reçoit aucune succession, ou seulement en quantités minimes ». Selon les enseignements du Conseil d’analyse économique (CAE), un organisme rattaché à Matignon, il est indiqué dans une note datée de décembre 2021 intitulée « Repenser l’héritage« que 50 % des individus reçoivent un héritage inférieur à 70 000 euros lors de leur existence, et parmi eux, une grande partie n’hérite d’aucun patrimoine.

En revanche, parmi les individus en France concernés par la succession, seule une infime proportion se voit attribuer des montants considérables. Selon le Conseil d’analyse économique (CAE), le top 1 % des bénéficiaires d’une génération reçoit en moyenne plus de 4,2 millions d’euros nets après déduction des droits de succession, tandis que le top 0,1 % reçoit approximativement 13 millions d’euros. De plus, l’héritage moyen du top 0,1 % est environ 180 fois supérieur à l’héritage médian. De plus, moins de 10 % des individus recevront un héritage dépassant 500 000 euros durant leur existence.

La richesse détenue par les résidents français peut être classée de manière générale en deux catégories distinctes : celle provenant de l’accumulation d’épargne et celle héritée. Cependant, la transmission des biens joue un rôle crucial dans la formation du patrimoine. Selon Nicolas Frémeaux, en France actuellement, les actifs hérités constituent 60 % du patrimoine global des individus. En guise de comparaison, ce chiffre était seulement de 35 % dans les années 1970, d’après le rapport du CAE.

Cette transmission a lieu de manière de plus en plus tardive. Selon la même source, l’âge moyen des bénéficiaires d’héritage est actuellement de 50 à 60 ans, en nette augmentation par rapport à l’âge moyen de 30 ans observé au début du XXᵉ siècle. Selon André Masson, directeur de recherche au CNRS, membre de la Paris School of Economics et auteur de L’Héritage au XXIᵉ siècle, les facteurs responsables incluent « l’allongement de l’espérance de vie et le droit progressivement accordé au conjoint survivant ». Par conséquent, il affirme que les personnes âgées de plus de 60 ans détiennent 60 % de la richesse totale en immobilier et en actifs financiers. Quels éléments amènent le chercheur à utiliser l’expression « gérontocratie patrimoniale française » ?

Pour déterminer les droits de succession, deux critères principaux sont considérés : la valeur de l’héritage et le degré de parenté avec le défunt. Selon les statistiques de l’Insee de 2021, 35,1 % des successions ont une valeur inférieure à 8 000 euros, tandis que seuls 14,7 % des héritages dépassent les 100 000 euros. En d’autres termes, un héritier recevant de l’argent de son père ou de sa mère peut bénéficier d’un abattement de 100 000 euros sur les droits de succession. Selon les informations fournies par Bercy, l’abattement applicable à une succession en faveur d’un frère ou d’une sœur est de 15 932 euros, tandis qu’il est de 7 967 euros pour une succession en faveur d’un neveu ou d’une nièce. Au-delà de ce seuil, les descendants directs sont assujettis à des taux progressifs variant de 5 % à 45 %, en fonction du montant perçu, tel qu’il a étéindiqué par le ministère de l’Économie.

Selon les conclusions de la note du Conseil d’Analyse Économique, il est indiqué que les 0,1 % des Français ayant reçu environ 13 millions d’euros ne s’acquittent que d’environ 10 % des droits de succession. Selon les critères établis, leur taux d’imposition devrait être de 45 %. En effet, il s’agit généralement d’un des rares impôts progressifs, où le pourcentage augmente en fonction du revenu perçu. Cependant, en réalité, aucun des multimillionnaires ne paie effectivement les 45 %, sauf s’ils gèrent très mal leurs affaires ou reçoivent de très mauvais conseils», ironise Nicolas Frémeaux.

Dans un rapport publié en 2024 par la Cour des comptes, il est souligné que les dispositifs fiscaux dérogatoires, tels que le “pacte Dutreil” proposant des avantages fiscaux pour la transmission d’entreprises familiales, ainsi que le régime fiscal des assurances-vie, jugé plus avantageux que le régime général, sont mis en cause. Selon l’institution, ces dispositifs favorisent les ménages ayant des patrimoines importants. Dans un rapport remis en juin 2021 au chef de l’État, les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole ont souligné que « des individus percevant un montant total identique peuvent être soumis à des taux d’imposition très variables ». En outre, les individus qui font les dons les plus importants à l’État sont généralement ceux qui ne possèdent pas de descendants directs. Selon Nicolas Frémeaux, bien qu’ils ne représentent que 10 % des cas, ces donateurs contribuent à près de la moitié des recettes.

La France se classe parmi les pays qui imposent les droits de succession les plus élevés. D’après un rapport de l’OCDE datant de 2019, les droits de succession ou de donation représentent 1,4 % de nos revenus fiscaux. En Europe, seule la Belgique est en avance par rapport à nous.

Comme l’explique André Masson, directeur de recherche au CNRS, un mouvement général de réduction des droits de succession est observé dans de nombreux pays depuis les années 2000. Plusieurs pays membres de l’OCDE, tels que le Portugal, la Suède et l’Autriche, ont aboli cette taxe, contrairement à la France qui demeure parmi les pays les plus taxateurs en ne suivant pas cette tendance.

La justification de cette renonciation aux droits de succession réside dans leur manque de popularité, comme l’affirme André Masson : « Avec l’émergence d’une classe moyenne, la transmission du patrimoine aux descendants est devenue une norme socioculturelle. » D’après le chercheur, la famille s’est transformée en une valeur refuge, représentant à la fois un investissement affectif et patrimonial, et constituant la dernière référence à laquelle il est possible de se rattacher dans un contexte mondial instable. Il mentionne un véritable dilemme rencontré par la classe moyenne, caractérisé par un conflit entre les valeurs familiales et la justice sociale. Selon son point de vue, la prévalence de la morale familiale est indiscutable : la majorité estime qu’il est inacceptable d’être imposé sur cette transmission.

La question devient plus préoccupante puisqu’une étude de la Fondation Jean-Jaurès datée de novembre 2024 révèle que 9 000 milliards d’euros de patrimoine seront transmis d’une génération à l’autre d’ici 2040. Cela équivaut à environ 677 milliards d’euros annuellement. Désigné comme « le plus grand transfert de richesse de l’histoire » ou “grande transmission” par les auteurs de ce document. Il convient d’adopter une approche prudente à l’égard de cette projection, car des événements tels qu’un effondrement du marché immobilier pourraient influencer ces estimations, souligne l’économiste Nicolas Frémeaux, tout en reconnaissant la validité générale de ces prévisions.

Selon André Masson, le patrimoine actuellement détenu par la génération des baby-boomers sera transmis lors des deux prochaines décennies. Cette transition vers une « d’héritiers » se produira alors que cette importante masse patrimoniale passera entre les mains des personnes âgées. En d’autres termes, une société sur laquelle l’accumulation de richesse et l’atteinte du succès social sont conditionnées par l’héritage familial.

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