Un rapport «censuré» par le gouvernement sur le non-recours à l’assurance chômage?
C’est ce que soupçonne le député LFI François Ruffin et plusieurs députés communistes, qui demandent depuis une dizaine de jours que soit transmis au Parlement un rapport gouvernemental réalisé par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques , qui dépend du ministère du Travail (DARES).
«Il existe très peu de travaux sur le non-recours à l’assurance chômage, car il existe une croyance selon laquelle il n’y en a pas», expliquait le sociologue Didier Demazière en octobre 2019 lors d’un colloque organisé par le Centre d’études de l’emploi et du travail , dont AEF Info avait produit un compte rendu. La question peut donc se révéler brûlante en pleine campagne électorale, au moment où Emmanuel Macron promet déjà de poursuivre sa réforme de l’assurance chômage en rognant davantage les droits des privés de boulot.
Tout commence en septembre 2018, avec la loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel», qui porte sur l’organisation de la formation et, dans une moindre mesure, sur le fonctionnement de l’assurance chômage. Dans le cadre de l’examen de cette loi, le député communiste Pierre Dharréville fait adopter un amendement prévoyant que «dans un délai de deux ans , le gouvernement remet au Parlement un rapport sur la réalité et les conséquences du non-recours aux droits en matière d’assurance chômage». « Ce rapport visait à mettre en lumière une zone d’ombre».
Seulement, deux ans plus tard, en septembre 2020, la lumière n’est toujours pas faite. On n’en aura des nouvelles que seize mois plus tard, dans un rapport parlementaire d’évaluation de la loi de septembre 2018, publié en janvier 2022. Les députés Sylvain Maillard et Joël Aviragnet y expliquent que le rapport gouvernemental sur le non-recours est «en retard, mais en voie d’être remis».
Selon les députés, le ministère du Travail a fait valoir que «la complexification des règles d’éligibilité» à l’assurance chômage a rendu difficile la finalisation de l’étude, mais que celle-ci est désormais prévue «pour le début de l’année 2022».
François Ruffin, fort de son audience, publie un post de blog adressé à Elisabeth Borne, la ministre du Travail, où il affirme «que ce rapport existe, qu’il est finalisé, que vous et votre cabinet l’avez relu ainsi que Matignon et l’Elysée».
Dans un communiqué publié lundi, la centrale CGT laisse entendre que le rapport démontrerait que «des centaines de milliers d’allocataires sont lésés». Un taux proche de celui obtenu en 2010 par deux chercheurs, Sylvie Blasco et François Fontaine. Dans leur étude, ils avançaient que sur un échantillon de près de 1 900 demandeurs d’emploi de moins de 50 ans éligibles à l’indemnisation, 39 % de ces individus «ne s’inscrivent pas à l’ANPE au cours de leur épisode de chômage, s’empêchant ainsi de percevoir l’allocation».
À VOIR AUSSI >> Les Français encore plus négatifs envers les chômeurs
L’évolution des règles au cours des dernières décennies a conduit à ce que seul un demandeur d’emploi sur deux soit aujourd’hui indemnisé. Ensuite, s’adresser au service public de l’emploi implique de s’engager dans un processus administratif coûteux en temps et en efforts, avec une exigence de contreparties et des mécanismes d’indemnisation parfois obscurs. Ce qui peut décourager, à plus forte raison si l’on pense rester au chômage sur une courte période, si l’on doute d’avoir le droit à une indemnisation ou si l’on pense que celle-ci sera trop faible pour être significative. Dans leur étude de 2010, Sylvie Blasco et François Fontaine relevaient qu’«un chômeur qui anticipe un retour rapide à l’emploi a peu d’incitations à demander à être indemnisé, surtout si cela prend du temps ou induit des coûts de transaction élevés».
Le ministère du Travail assure qu’il sera bien transmis au Parlement, mais qu’il faudra «encore plusieurs semaines de travail». Mais, le gouvernement peut désormais invoquer la «période de réserve électorale», qui a débuté vendredi dernier, pour demander à ses administrations de ne pas publier des documents qui risqueraient d’orienter le débat public.