L’apprentissage subit de plein fouet les restrictions budgétaires
À l’EM Normandie, l’apprentissage n’est plus apprécié. Nouvelle directrice générale, Anne-Sophie Courtier a décidé de revenir sur certaines décisions. Cette école de commerce a décidé de suivre la tendance de l’apprentissage : jusqu’à présent, 40 % de ses étudiants faisaient une partie de leur formation dans l’entreprise qu’ils voulaient en étant payés. D’ici à 2030, seulement 25 % des personnes pourront utiliser ce système.
Le marché du travail devient difficile et les réductions de budget pour la formation des apprentis rendent les entreprises moins enclines à en embaucher, explique-t-elle. À partir du mardi 1ᵉʳ juillet, les entreprises qui embauchent des apprentis pour un diplôme de niveau bac+3 ou plus doivent payer 750 euros par contrat. De plus, le montant pour les formations à distance va être réduit. But de cette nouvelle réforme du financement de l’apprentissage : réaliser des économies de 450 à 500 millions d’euros en 2025. Dans son budget 2025, le gouvernement a déjà réduit la prime pour embaucher des apprentis. L’aide est passée de 6 000 euros à 5 000 euros pour les petites et moyennes entreprises (PME) et à 2 000 euros pour les grandes entreprises.
Les effets de ces mesures se sont vite fait remarquer. « Cette année, les étudiants ont plus de mal à trouver un contrat, car il y a moins d’offres et les entreprises demandent plus de choses», remarque Anne-Sophie Courtier. Les chiffres montrent que, pour la première fois depuis 2018, le nombre de nouvelles inscriptions en apprentissage a diminué au début de l’année. En janvier 2025, il y a eu 14 % de moins de nouveaux contrats par rapport à janvier 2024, d’après les données de la Dares.
« En France, on a tendance à détruire ce qui fonctionne bien », dit Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), contacté par franceinfo. « Nous avons oublié ce qui est vraiment important et nous sommes à un moment critique. » Il veut avertir que ce qui arrive est très risqué.
Ce changement arrive après plusieurs années de bons résultats dans l’apprentissage. En 2018, une grande réforme du financement et des aides pour l’embauche des jeunes pendant la crise de la covid-19 ont obtenu d’excellents résultats. Le nombre de nouveaux apprentis a beaucoup augmenté, passant de 321 000 en 2018 à 852 000 en 2023. On se rapproche de l’objectif d’un million fixé par Emmanuel Macron. Une époque appelée les « années folles » par l’économiste Bruno Coquet, qui travaille avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le but du président ressemble à un symbole, dit-il. « Pendant plusieurs années, les gouvernements n’ont pas voulu contrôler les dépenses pour l’éducation. »
Mais, depuis plus d’un an, cette opinion a été influencée par les problèmes d’argent, avec un déficit de 5,8 % du PIB en 2024, en France. Bruno Coquet explique qu’une situation difficile a montré que l’éducation est trop chère par rapport à ses résultats. En 2023, l’État a dépensé 16,5 milliards d’euros pour l’alternance, qui inclut l’apprentissage et les contrats de professionnalisation. Sur cette somme, 7,5 milliards viennent du budget et 8,7 milliards de France compétences, d’après un rapport de la Cour des comptes. Pour comparer, cette année, le budget du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est de 26,7 milliards d’euros. Une aide surprise pour tout un secteur.
Cette politique publique était mal ciblée : un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales en 2024 a montré qu’il y avait des effets d’aubaine. Certaines entreprises ont reçu de l’aide de l’État, alors qu’elles auraient engagé des alternants sans cette aide.
Un autre problème souvent soulevé par les chercheurs et les professionnels de ce domaine est la création d’une « vraie dépendance à l’argent public», comme le dit Mathis d’Aquino, chercheur à Sciences Po Bordeaux, sur la privatisation de l’enseignement supérieur. Des écoles privées ont été créées pour bénéficier de ces aides, parfois au détriment de la qualité de l’enseignement offert. Dans certaines de ces formations qui respectent peu les contrats, l’apprenti a pu être utilisé comme une main-d’œuvre bon marché. « Des entreprises ont trouvé comment remplacer certaines tâches faites par un employé en prenant des alternants», dit-il aussi.
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Ces dernières années, l’apprentissage a eu des résultats variés, surtout concernant les études après le bac, à partir de bac+3. Les jeunes qui préparent un diplôme en dessous du bac (comme le CAP ou le BEP) n’ont pas beaucoup bénéficié de l’augmentation du nombre d’apprentis. « Mais ils peinent vraiment à trouver un emploi», remarque l’économiste Christine Erhel, professeure au Cnam et responsable du Ceet. Les économistes interrogés par franceinfo pensent qu’il faut nuancer l’impact de la politique de l’apprentissage sur l’emploi et le chômage des jeunes. Il faudra faire des évaluations de son efficacité dans les prochaines années.
À cause de cette focalisation sur l’enseignement supérieur, l’apprentissage a notamment progressé dans le secteur des services. Donc, « on n’a pas assez parlé des formations importantes où il y a réellement des manques de travailleurs», remarque Christine Erhel. Dans l’enseignement secondaire, 70 % des contrats proviennent du secteur de la production. Cependant, leur nombre « n’augmente que très peu», d’après la Cour des comptes.
Il ne faut surtout pas abandonner les bonnes choses, de même que les mauvaises, selon l’experte du marché de l’emploi. L’apprentissage a aidé des milliers de jeunes à payer des formations privées qui étaient auparavant réservées aux prêts étudiants ou à l’aide de leur famille, souvent très chère. « Selon l’économiste, cela a permis à beaucoup de jeunes de financer leurs études. Au lieu d’être une solution pour l’emploi, l’apprentissage a surtout servi à aider le financement de l’enseignement supérieur. »